On considère généralement que la paternité de l'invention des lunettes bifocales revient à Benjamin Franklin, bien que cette paternité soit parfois contestée.
Quoiqu'il en soit, la genèse de cette invention reste assez exemplaire du point de vue TRIZ. Et si on s'intéresse au paramètre "bifocales" uniquement, il y a bon nombre de choses intéressantes à découvrir...
On y devine une contradiction:
- être capable de voir de loin
- être capable de voir de près.
Bien sûr, la solution de changer de lunettes fonctionne, mais n'est pas très pratique. Il a donc l'idée de faire couper des verres en deux, chaque partie convenant à une vision de près ou de loin.
Les lunettes bifocales étaient nées.
Dans ce cas précis, on peut évoquer plusieurs principes tels que casser la symétrie (la partie haute est différente de celle du bas), ou la qualité locale...
Pour ce qui est des principes de séparation, c'est la séparation dans l'espace qui est utilisée. A un endroit, les lunettes permettent de voir de loin, et à un autre endroit elles permettent de voir de près.
Dans le problème initial (solution existante), la contradiction est aussi traitée avec un principe de séparation: la séparation dans le temps. et la résolution se fait en ayant deux paires de lunettes: A un moment on utilise les lunettes pour voir de près et à un autre on utilise d'autres lunettes pour voir de loin. Cette solution apporte un sous-problème qui consiste à avoir deux paires de lunettes au lieu d'une et d'être contraint d'échanger l'une pour l'autre en fonction de ce que l'on veut regarder.
Dans le cas des lunettes bifocales, il ne reste plus qu'à laisser le produit évoluer,
avec l’apparition des verres progressifs
dans les années 1970, apportant une transition douce entre les deux modes de vision.
Lors d'un échange avec Erick, un collègue dont la carrière s'est déroulée en partie dans ce monde, il me relate deux éléments d'évolution que je ne connaissais pas, mais pourtant en droite ligne des évolutions prévisibles.
Tout d'abord, les lunettes "trifocales": celles ci sont composées de non plus deux zones mais trois. Une pour la vision de près, une pour la vision proche et une pour la vision de loin. Plus compliquée à mettre en œuvre que les bifocales elles ont eu leur période de gloire dans les années 1950. Ce type de correction a progressivement régressé en raison de l’apparition des verres progressifs qui disposent d’un meilleur champ de vision. Il n'en reste pas moins que les lunettes trifocales sont toujours commercialisées.
Je vous laisse deviner quelle évolution le système a encore pu faire? Eh oui, les lunettes... quadrifocales. Mais ces dernières n'ont pas dépassé le stade expérimental. Les trifocales étaient donc la limite de l'évolution dans cette voie, un peu comme la dimension de la roue du grand bi dans le cas de la bicyclette.
L'étape suivante a été de passer aux verres progressifs en utilisant la loi #8: dynamisation des systèmes.
Mais revenons aux lunettes bifocales. Plus étonnant encore, il y a des lunettes appliquant la séparation dans l'espace, mais d'une autre manière: un des verres permet la vision de près et l'autre la vision de loin!!
Aussi improbable que cela puisse paraître, cela existe. Et moyennant un temps d'adaptation (accompagné de maux de têtes), le cerveau finit par faire la correction en privilégiant le signal de l'un ou l'autre œil en fonction de ce que fixe la personne.
La genèse de ce type de correction (appelé balance), initiée aux États-Unis, est liée à deux phénomènes.
Le premier est financier, la faiblesse de la couverture sociale et/ou de moyens financier a favorisé l’émergence de solutions économiques (ex : lunettes loupes).
Le second phénomène est technique, le marché américain ne disposait pas d’équipements permettant de réaliser des verres avec des géométries complexes
Le coût d'une telle monture (un verre adapté à chaque vision) doit être peu différent de celui d'une seule paire de lunettes classique, tout en offrant les deux corrections (contrairement aux montures bifocales ou à verres progressifs dont le coût est plus important).
Enfin, un autre point intéressant: ce type de correction (un peu comme un LEGO) est disponible non seulement outre-Atlantique mais aussi dans la zone Asie Pacifique, alors qu’il est ignoré en Europe.
La structuration du marché est un des facteurs qui a induit cette évolution différente. En Europe ce sont des ophtalmologistes (médecins) qui réalisent les prescription alors qu’aux États-Unis ce sont des optométristes (spécialiste de la réfraction) qui définissent la correction nécessaire.
Le développement de tel ou tel objet est fortement dépendant de son super-système. Dans ce cas précis, la différence très marquée de prise en charge des dépenses liées à la vue, les habitudes de consommation (disponibilité du produit), la technicité des équipements, et la formation des intervenants ont conduit à des évolutions techniques très différentes en fonction du pays. D'où l'importance du super-système, et, bien sûr des conditions particulières du problème (un des trois postulats de TRIZ)
Article co-écrit avec Erick Marecal, que je remercie ici.
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